Montée vers la victoire - Killzone 2 en quelques mots

En prévision d'un article portant sur le récent jeu d'action Killzone 3 -- article qui, si jamais il paraît, ne sera pas très enthousiaste --, j'ai décidé de jouer une seconde fois à l'excellent Killzone 2. Convaincu que ce deuxième volet était non seulement conçu beaucoup plus intelligemment que son successeur, mais qu'il offrait un défi bien plus équilibré et satisfaisant, je me suis attaqué à son niveau de difficulté le plus élevé. S'en est suivie une expérience de jeu tout à fait jouissive, dont j'ai eu envie de relater les faits saillants.

Je garderai mes observations plus critiques sur les mauvais et moyens aspects de Killzone pour une autre fois. Le simple but du présent texte est de rendre compte des impressions diverses, qu'elles soient d'ordre ludique, esthétique ou narratif, qui font de Killzone 2 une expérience distincte et mémorable, plus particulièrement lors d'une séquence tardive qui en constitue l'apogée.

Mais d'abord, mise en contexte.


Cela fait maintenant plusieurs jours que le soldat que j'incarne, Sevchenko -- s'il possède un prénom, je l'ignore --, ne connaît aucun répit aux mains des Helghast, la puissante race extraterrestre dont notre armée, l'Alliance Stratégique Interplanétaire, a jugé bon d'attaquer le foyer d'origine en guise de riposte aux précédentes invasions. Au côté d'une ribambelle de fantassins anonymes, mais plus spécialement de mes fidèles camarades Rico, Natko et Garza, je mène ainsi un combat acharné dans le but de préserver des intérêts qui, en toute honnêteté, m'échappent.

Nous avons d'abord marché sur Pyrrhus, la capitale ennemie. Parmi les épisodes marquants de cet assaut, on retient le siège d'un square important, que nous avons défendu avec vigueur et ténacité, puis la traversée laborieuse du pont de la rivière Corinth, étape nécessaire à la prise de l'académie de formation militaire. Découvrant un mystérieux artéfact parmi les décombres de l'attaque, nous avons ensuite débarqué en petit groupe au milieu des terrains vagues désertiques de Helghan, afin d'en retracer la source et la nature ; escapade qui se muta bien vite en mission de rescousse et nous plongea au coeur d'un étourdissant complexe de raffineries, dans une succession d'événements plutôt tirée par les cheveux mais fort bien construite malgré tout. Finalement, de retour sur notre croisé interstellaire, nous avons subi un abordage qui coûta la vie de notre commandant de flotte.

Regagnant la surface planétaire en catastrophe, égarés sans autre fortune que notre ferveur patriotique, il ne restait plus qu'à livrer l'assaut final sur la cité, celui qui mettrait un terme à ce tourbillon de violence.

Il convient de mentionner que tout juste avant notre marche ultime sur Pyrrhus, l'empereur Visari, la peste qui hante nos cauchemars et alimente la fibre haineuse de nos ennnemis depuis des temps immémoriaux, a lâché une bombe nucléaire sur sa propre capitale. Une décision administrative qui, encore une fois, semble faire plus de sens pour mon avatar et ses compères que pour moi ; mais puisque l'explosion a baigné l'air ambiant d'une jolie teinte rougeâtre, laissant derrière elle de mystifiants essaims de débris flottants, mieux vaut sans doute ne pas trop questionner la logistique des choses.


Après moult escarmouches et tribulations, Rico, Natko et moi-même -- nous avons perdu Garza lors de notre précédente sortie, au grand chagrin de tout le monde impliqué -- sommes enfin arrivés aux portes du palais de Visari. M'engageant dans un tunnel découvert par pur hasard, je surgis au bout des jardins impériaux et me retrouve à la base d'un grand escalier qui me rappelle, incidemment, la séquence de Demon's Souls à propos de laquelle j'ai déjà écrit. Petite différence avec le jeu de rôle toutefois: plutôt qu'une surface dégagée et méthodiquement balayée par les flammes d'une imposante créature, les marches de Killzone sont meublées de barbelés, de sacs de sables, de mitrailleuses fixes et bien sûr de dizaines de soldats armés.

À première vue, la fortification paraît imprenable, mais au sommet de celle-ci se terre la source du mal que nous combattons depuis déjà trop longtemps. L'affrontement sera rude, mais nous devons continuer.

Étant parvenu jusqu'ici en mode "Elite", je me suis habitué à ne pas survivre très longtemps en terrain inconnu. Le plaisir d'un tel niveau de difficulté, comme il l'était dans Demon's Souls, est précisément d'apprivoiser une à une les zones de conflit et de venir à bout de leurs épreuves par un mélange de réflexes et de mémorisation. Heureusement, le balisage dans Killzone 2 est assez bien dosé pour que l'atteinte du but immédiat demeure toujours envisageable, mais que l'effort n'en reste pas moins exigeant. Moins heureusement, ayant choisi d'éluder le gros de la bataille sur les terrasses en prenant un raccourci, un troupeau de guerriers ennemis se retrouve à mes trousses, entravé par mes frères d'armes mais bien déterminé à me rendre la vie difficile.

La sauvegarde étant automatique et irréversible, autant me faire à l'idée tout de suite que chaque nouvelle tentative d'ici le prochain "checkpoint" débutera par l'extermination du porteur de lance-flammes me soufflant à la nuque, suivi du nettoyage de quelques poursuivants, de la neutralisation d'un robot mitrailleur, et de l'occasionnel sauvetage de Natko, effondré dans les derniers mètres de la terrasse. Ce qui rendra ce labeur systématique beaucoup plus tolérable, c'est la souplesse et la spontanéité de la dynamique de combat. Car si les grandes lignes des séquences d'action de Killzone 2 sont coulées dans le béton, ce sont les nuances, la force brute et les imprévus qui en font un plaisir de tous les instants.

Et comme il n'y a pas d'affrontement sans rival, je me dois de consacrer un hommage à ce formidable adversaire collectif qu'est l'armée helghast.


Mon postulat est le suivant: que les Helghast de Killzone 2 pourraient très bien être le groupe d'antagonistes virtuels le mieux réalisé de l'histoire du jeu d'action 3D, mieux encore que tout ce que Valve ou peut-être Bungie -- mon expérience de Halo est trop limitée pour en être certain -- ont pu offrir au fil des années. Sur quoi m'appuie-je donc pour oser une telle hypothèse?

Il y a d'abord le casque, et plus particulièrement cette visière rouge que les concepteurs ont choisi de mettre en évidence jusque sur l'emballage du jeu. Immédiatement reconnaissable, l'accessoire sert d'emblée une fonction déshumanisante -- les Helghast étant pour ainsi dire FAITS en cruauté, et certainement dépourvus d'identité singulière --, mais aussi et peut-être surtout bêtement pratique: la lueur orangée permet en effet au joueur d'identifier facilement cette éternelle cible de choix qu'est la tête de l'ennemi.

Cela dit, l'astuce de Killzone est de complexifier passablement ce classique des conventions ludiques: pour atteindre le crâne de l'adversaire et porter le coup de grâce, il faut d'abord le "décasquer" d'un ou plusieurs tirs bien alignés, nécessitant une attention prolongée sur le même opposant. En tenant compte de la visée turbulente et de la tendance qu'ont les ennemis à mener l'assaut de tous les sens possibles, choisir de travailler ou non pour un "headshot" devient soudainement un enjeu stratégique important, plutôt qu'un automatisme ou un simple accident.

Il y a ensuite l'armure des combattants, épaisse comme trois combinaisons d'hiver et alourdissant visiblement leurs déplacements. Là où les Uncharted baignent dans l'absurdité en faisant de leurs bandits légèrement vêtus de véritables éponges à munitions, et où les Call of Duty ridiculisent carrément leurs milices imaginaires en les dépouillant de toute résistance aux balles, Killzone opte pour un compromis sensé en présentant des adversaires somme toute assez vulnérables, mais simplement bien protégés. La quantité de tirs encaissée est donc justifiée par le blindage, mais le joueur ne se voit pas pour autant refuser la satisfaction d'un coup réussi, l'impact des projectiles entraînant une panoplie de réactions physiques d'une hallucinante crédibilité.


C'est là une autre caractéristique bien propre à Killzone: la dimension tangible, pratiquement palpable, de son espace de jeu et des pions qui s'y affairent. Fluidité du mouvement, vraisemblance du comportement et masse concrète des objets sont en effet simulés de façon remarquable; ainsi un soldat franchissant un bloc de béton semble-t-il y appliquer toute son énergie, les pas de course paraissent à la fois flexibles et fermement ancrés au sol, et les occasionnels corps-à-corps évoquent à l'image comme au son une pesante brutalité. Difficiles à décrire parce que pluriformes et omniprésentes, les manifestations de cette consistance physique s'enchaînent harmonieusement dans une cadence et une logique dont l'unité n'est que très rarement brisée. Elles procurent aussi à l'ennemi, à défaut d'une personnalité, la dignité d'une présence incarnée.

Mais les éléments de caractérisation ne sont tout de même pas totalement inexistants, et achèvent de décorer un gâteau déjà fort savoureux. Pour tout dire, les Helghast semblent tellement déterminés à consacrer chaque seconde de leur misérable existence à réitérer leur acharnement à écraser les envahisseurs -- à commencer par le joueur, bien sûr -- qu'ils en deviennent bizarrement attachants. Il y aurait huit mille façons d'enregistrer des répliques primitives telles que "Die, Vektan scum!" ou "I will crush you!", mais Killzone 2 trouve le moyen de les rendre simultanément intimidantes et complètement hilarantes, le filtre du masque à gaz leur procurant un aspect grotesque, autoritaire mais impossible à prendre au sérieux.

Conviction, enthousiasme et ridicule, donc. Un mélange parfaitement synthétisé par les danses de la victoire que performera parfois un soldat ennemi devant les yeux du héros mourant ; une vision qui a de fortes chances de changer subitement la frustration du joueur en brûlant désir de vengeance.

Pour résumer cette longue éloge en une formule simple à digérer: se frotter aux Helghast est un bonheur absolu.


Et tenir tête aux Helghast, c'est exactement ce que, de retour au palais de Visari, je m'apprête à faire. La situation est d'une urgence et d'une clarté foudroyante: deux factions de brutes armées, poursuivant des buts amplement établis par la fiction, face à face dans un lieu accentuant le caractère désespéré de la lutte. M'extrayant de l'arche de pierre me servant de refuge durant les préliminaires de chaque tentative, j'aperçois des transports aériens déposant des nouveaux combattants alliés de part et d'autre du champ de bataille. Ces collègues me signalent par leur arrivée qu'il est grand temps de foncer, et m'accompagneront coûte que coûte jusqu'au sommet de l'escalier. La seule chose dont ils ont besoin, c'est de quelqu'un pour mener le bal.

L'assaut n'aboutira en effet strictement nulle part si le joueur n'en prend pas les rênes, et c'est à force de répétition que la séquence révèle deux grandes qualités: la transparence de son découpage en étapes, et une gestion équilibrée des vagues ennemies, que le jeu fait déferler à perpétuité afin de stimuler l'avancée. Le concept des "respawns" infinis n'est certainement pas nouveau, et le premier Modern Warfare est encore la référence pour ce qui est de son application dans le jeu de tir contemporain, mais Killzone 2 l'emploie ici avec intelligence et parcimonie, les renforts étant à la fois assez espacés pour laisser au joueur le temps de respirer, et assez concentrés pour ne pas éparpiller son attention à la grandeur de la carte. Et comme il y a bien une limite à porter le poids d'un siège militaire, les compagnons virtuels s'avèrent juste assez utiles, autant pour attirer l'attention et les tirs de l'ennemi que pour marquer clairement la progression lorsqu'ils rejoignent le héros en terrain conquis.

Outre ce mouvement impeccablement orchestré, la disposition du tableau est géniale: d'abord clôturé par deux rangs de fils barbelés que le joueur doit pénétrer en s'exposant aux tirs de toutes parts, l'espace navigable se resserre en entonnoir sur une arche dressée au milieu des marches, avant d'ouvrir de nouveau sur un enchevêtrement complexe d'objets de couverture et d'espaces dégagés. Des grenades sont déposées à deux ou trois endroits logiques, ceux qui donnent le plus directement sur les positions où les arrivants ennemis sont le plus susceptibles de se rassembler ; quelques pans de mur permettent un petit moment de répit, le temps de nettoyer le terrain sur le sens de la largeur avant de recentrer son attention sur les cibles plus importantes. Sans s'étendre sur des centaines de mètres carrés, il s'agit d'une aire de jeu dont chaque détail architectural semble avoir été scrupuleusement réfléchi, et le niveau de difficulté supérieur exige d'en faire une lecture dynamique, attentive aux moindres nuances.


Finalement, unifiant tout ce chaos dans un écrin stable, ordonnant le tonnerre des mitrailleuses, demeure l'indéniable facteur cosmétique, cet élément spectaculaire sautant aux yeux de l'observateur passif, mais qu'il est facile de négliger -- voire d'oublier carrément -- lorsqu'on se retrouve absorbé dans un gameplay aussi intense. Atteignant ce chapitre après une bonne dizaine d'heures, le joueur moyen aura certainement eu le temps d'apprécier la facture esthétique générale du jeu ; mais se buter ainsi à un passage particulièrement ardu, c'est avoir l'occasion d'en remarquer les subtilités, et surtout le rôle important qu'elles jouent dans l'ensemble de l'expérience.

Le modelage irréprochable des objets devient donc plus qu'une affaire de belles textures ; il est le fil qui complète et maintient l'aura de "réalité" de la scène, qui supplémente l'immersion déjà entraînée par la solidité des mécaniques de jeu. Les animations de personnages, en plus d'être variées, fluides et viscérales, facilitent l'analyse intuitive de l'action, tout comme les sons deviennent un point de référence important pour jauger de la proximité ou de l'intensité d'un affrontement hors de vue. L'éclairage poisseux et nuancé, quant à lui, donne à la scène son épaisseur dramatique particulière, ici découpée en tons d'un rouge presque sang, mais se déclinant tout au long de Killzone 2 en un éventail tirant le meilleur parti possible de sa palette grisâtre.

Parvenu au sommet de la structure, après une bonne heure de reprises, de raffinements et de renouvellements de stratégies, la fusillade se conclue à peu près de la même manière qu'elle a commencé, glissant imperceptiblement d'un furieux conflit à un état de calme. Les derniers soldats se retirent à l'intérieur de la forteresse, le crachat des fusils fait tranquillement place à un silence relatif, et un petit symbole dans le coin de l'écran m'informe que mes efforts sont récompensés par un enregistrement de partie bien mérité. Au coeur du palais m'attend une autre escarmouche colossale, encore une fois éreintante (et même injuste, si vous voulez mon avis), mais n'atteignant pas la virtuosité de celle que je viens de traverser, qui me laisse avec le meilleur sentiment de maîtrise d'un système de jeu que j'ai connu depuis Demon's Souls il y a quelques mois.


Toutes les qualités d'un jeu d'action exceptionnel condensées en microcosme ; voilà ce en quoi consiste la séquence des escaliers en culmination de Killzone 2. Elle prend ce qui est souvent reproché au jeu vidéo (de mettre plus d'emphase sur le "comment" de la bataille que sur le "pourquoi") et en fait plutôt une véritable force, le coeur d'une expérience méticuleusement calculée pour une intensité cognitive maximale. Il s'agit d'un moment où le poids et la complexité progressivement acquise du combat, la direction artistique inspirée de l'iconographie nazi et l'apogée de l'intrigue militaire -- aussi insipide soit-elle -- convergent en un formidable exemple de consonance ludique.

Qui plus est, à travers le vernis futuriste et la fantaisie pré-adolescente, par la tension des fusillades et l'importance accordée à l'atmosphère d'un conflit situé dans une galaxie lointaine, très lointaine, le jeu se rapproche davantage d'une certaine authenticité militaire qu'à peu près tous les jeux d'action prétendument "terre-à-terre" que l'on a vu émerger au cours des dernières années. Le combat de Killzone 2 frappe et exténue ; son ambiance étouffe et saisit, peu importe ce qui s'y déroule en vérité. De façon rustre, sans doute involontaire, le jeu transmet par sa dynamique une parcelle de vérité quant à l'expérience du soldat, ne serait-ce que de très loin et par épisodes isolés, toujours par le biais de la fabulation la plus puérile.

Killzone 3, de son côté...

2 commentaires:

  1. Ok, là je commence à comprendre pourquoi tu dis que ça t'as pris longtemps écrire ça. C'est non-seulement long, mais surtout très bien écrit. Chapeau!

    J'aime la photo de groupe des soldats ennemis. Ils ont l'air tous différent. C'est la différence avec les jeux de guerre auxquels j'ai joué, où c'est toujours le même modèle de soldat qu'on voit, parfois avec une couleur différente, mais toujours pareil.

    Pourquoi tu penses que Killzone 3 n'a pas réussi le même exploit? Est-ce que c'est par manque de temps ou parce qu'ils ont voulu essayer de plaire à une clientèle différente?

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  2. Merci, j'ai mis beaucoup de travail dans ce texte-là.

    La photo de groupe est intéressante. J'en parle déjà beaucoup, mais je pense que j'ai pas bien traduit à quel point ils ont du fun avec leurs ennemis. Les différents types ont des voix différentes, des comportements différents... Ils sont incroyablement agressifs, mais t'as toujours l'impression que c'est fair game et qu'ils sont là pour s'amuser. C'est comme un gros party militaire.

    Pour Killzone 3, c'est un peu des deux problèmes que tu suggères. C'est un jeu qui n'existe que pour une seule raison: épater la galerie. KZ2 est un jeu spectaculaire, aucun doute là-dessus, mais il n'oublie pas d'être un jeu d'action tendu et musclé, et il a une très bonne idée du look et du feel qu'il veut dégager. On l'aime ou on l'aime pas, mais il a définitivement sa propre vibe.

    KZ3, c'est tout ce qu'il faut pour plaire au maniaque d'explosions et de technologie incroyable, pour montrer qu'il a coûté très très cher à produire, au détriment du jeu qu'il y a en-dessous. Les tableaux sont pauvres, la maniabilité n'a plus aucune signature, tout semble mince et insignifiant ; c'est juste impressionnant à regarder, point final. ET comme c'est une production lourde et importante pour Sony, qui ne pouvait absolument pas manquer sa date de sortie, il est bourré de bugs techniques qui lui donnent un air ridicule. Ça fait pitié (mais quand même pas autant que mettons Homefront).

    Si jamais je fais vraiment un autre article là-dessus, sois pas surpris si je recycle à peu près les mêmes phrases : )

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