Des condamnés à mort veulent s'échapper - Rebirth

Mon dernier article était une chose gigantesque portant sur un jeu d'action puéril et brutal, que peu de lecteurs risquent d'avoir la chance (ou l'envie) d'essayer par eux-mêmes. Question de renverser doublement cette tendance, voici un court billet sur un objet bref, curieux et accessible à tous.



Rebirth est un jeu expérimental à penchant bizarroïde comme je les aime, mais assez singulier dans son esthétique et ses éléments interactifs pour se démarquer d'une certaine classe de "art-game" de plus en plus homogène (contrairement à celui-ci, par exemple). Si vous avez dix minutes, 7 méga-octets d'espace libre, et l'intérêt d'apprécier une chose autant pour ce qu'elle essaie que pour ce qu'elle accomplit vraiment, je vous suggère d'y jeter un oeil puis de revenir si vous pensez qu'elle vaut la peine d'être disséquée.

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Deux choses m'impressionnent à propos de Rebirth, et elles sont étroitement interreliées: d'abord, le fait qu'il s'agisse d'un effort techniquement au point, à l'interaction fluide et dynamique ; puis le fait qu'il raconte, en quatre phases et sans le moindre mot, une histoire modeste mais complète et cohérente. Son thème principal étant le besoin de s'évader d'un appareil socioéconomique réduisant l'individu à des fonctions de pure productivité, il est normal qu'il ne prenne pas la peine d'expliquer son fonctionnement au joueur, les tâtonnements, la confusion et les échecs faisant partie intégrante du parcours.

Ce qui est particulier ici, c'est que la quête d'émancipation n'est pas liée au sort d'un protagoniste unique, et qu'elle porte en elle une certaine ambivalence. En effet, l'esprit de la libération est l'héritage que les acteurs de la résistance laissent derrière eux, le "courant" immatériel qui les unit dans leur solidarité, mais la réalisation de leur rêve collectif demeure nébuleuse, incertaine. Que le renouveau utopique présenté en conclusion du jeu soit imaginaire ou non, il y a une part de tragique à savoir les véritables "illuminés" condamnés à succomber au roulement impitoyable de la machine.


Outre cette ambiguïté, j'aime comment le jeu étend l'échelle de l'action par étapes successives, des étranges phoetus "pondus" par les esclaves jusqu'au cosmos de l'évasion ultime. Ce découpage nous révèle progressivement tout ce qu'il y a à savoir sur ce micro-univers de science-fiction, qui paraîtra sans doute un peu familier aux amateurs du genre, mais qui demeure réalisé avec suffisamment de soin pour se tenir par lui-même. Il renforce également l'idée que le joueur n'incarne pas une entité précise, mais bien une sorte de "puissance" agissant au-delà des captifs, la force ubiquitaire de leur volonté réunie.

Évidemment, Rebirth n'est pas sans défauts. Bien que l'obscurité de certaines mécaniques soit une donnée essentielle de l'expérience, la communication avec le joueur reste un peu déficiente ; passe encore lorsqu'il s'agit de trouver comment délivrer un prisonnier unique, mais il est navrant de jouer impeccablement la troisième phase, accumulant un tas de "disciples"... et de ne pas savoir quoi faire avec. Trop court et trop trivial dans son interactivité, le dernier segment échoue quant à lui à nous faire sentir en profondeur la réelle portée du dénouement.

Ces quelques bémols n'empêchent toutefois pas le jeu, premier effort solo de Daniel-David Guertin, d'être un "court métrage" étonnant et plein d'assurance, du genre qui ravive l'intérêt pour la grammaire du jeu vidéo et ses facultés expressives.

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