Surmonter l'épreuve - But That Was [Yesterday]

Mon dernier texte contenait, parmi une maigre poignée de sujets d'articles potentiels, une mention rapide de But That Was [Yesterday], court jeu indépendant dont je connais l'existence depuis quelque temps. Sous l'intense pression psychologique de mon collègue narF, j'ai décidé de consacrer un petit billet à cet effort très intéressant, que je vous suggère d'essayer sans plus attendre.


But That Was [Yesterday] est un de ces jeux où l'intention narrative et expressive du créateur (certains diront le "message", mais cela me semble trop contraignant) l'emporte sur l'expérience propre au joueur. Il occupe donc fermement le créneau "art-game" de la sphère indépendante, partageant la compagnie de titres mieux connus tels que Every Day the Same Dream et Today I Die. Cela dit, ce qui en fait une création distinguée plutôt qu'un essai amateur parmi tant d'autres, c'est son langage visuel d'une éloquence et d'une limpidité remarquable, ainsi que l'élégance de son design interactif, qui rend son expérience émotive plus accessible, voire palpable.

Dès l'ouverture, obstacle: rares sont les jeux vidéo qui nous punissent immédiatement de faire ce qui nous paraît le plus intuitif. La confusion initiale du joueur reflète l'impasse psychologique dans laquelle se trouve l'avatar à un stade de son existence que l'on devine incertain, et demande de s'arrêter un moment pour réfléchir. Plus loin, la découverte des bonheurs de la course et du saut traduiront la sensation de ce qui s'avère pour le même personnage des phases d'épanouissement. Angoisse, allégresse, rechutes ; [Yesterday] orchestre finement une succession d'états d'âme et les fait résonner les uns contre les autres en accentuant les contrastes, que ce soit par l'intensité du mouvement, la musique ou la palette de couleurs. Pour ce qui est d'induire et diriger une série d'humeurs, il s'agit d'une réalisation extrêmement efficace.


Je l'accorde, [Yesterday] aurait sans doute pu retenir l'essentiel de sa matière sous forme de court métrage d'animation. Le terrain émotif plutôt commun qu'il aborde n'a pas non plus la profondeur de X roman supposément incontournable. Ce qui en fait pourtant un ouvrage digne d'intérêt, outre l'évidente sincérité qu'il dégage, c'est la clarté de sa communication avec le joueur et la nette volonté de lui faire prendre part au récit pour le comprendre intimement. Les seuls "mots" qu'il emploie sont des flèches directionnelles, langage purement utilitaire trouvant ici des facultés expressives surprenantes ; les motifs ludiques sont eux aussi familiers (le déplacement latéral, les compagnons de parcours, l'intégration des apprentissages...), mais gagnent une valeur métaphorique nouvelle lorsque mis en contexte spécifique.

Après ceci et deux autres essais en quelques mois (Together, intéressant, et The End of Us, d'une belle simplicité), Michael Molinari impose tranquillement un style bien à lui, noyé de couleurs vives, ainsi qu'une voix d'auteur manifestement préoccupée par le thème de l'attachement affectif. C'est un nom à suivre.

4 commentaires:

  1. Ce que je trouve drôle, c'est que les bonhommes "parlent" en langage de jeux vidéo. Ils parlent en flèches et c'est tout ce qu'ils ont à dire. C'est un peu comme les bonhommes qui parlent dans les tutorials. «Hey Mario! Appuis sur B pour courir!». Sauf que là, ils parlent juste comme ça, même pas de mots.

    Et je t'ai même pas mis de pression! J'ai juste dit que j'avais re-joué! :P

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  2. Mention quand même aux petits bruitages qui ajoutent de l'effet aux "dialogues", et aux coeurs qui en disent aussi vraiment gros.

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  3. Maintenant, peut-on parler du titre? Je comprendre pourquoi ça s'appelle «But that was yesterday», mais c'est les crochets [ ] que je ne comprends pas. Tu as une idée toi?

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  4. Juste un petit effet d'emphase. Ça veut rien DIRE, mais on voit comment c'est utilisé dans le jeu lui-même: pour découper le mot-clé à retenir.

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