Vous avez peut-être entendu parler d'un petit film nommé Inception. C'est un film réalisé par Christopher Nolan, dans lequel jouent des acteurs bien connus et d'autres un peu moins connus. Il raconte en gros l'histoire d'un groupe de spécialistes chargé d'infiltrer l'esprit d'un homme, d'y implanter une idée neuve, et de s'assurer que la victime ne conserve aucun souvenir de l'opération. À peu près tout le monde s'entend pour dire qu'il s'agit d'un très bon film, mais je crois que peu de gens auraient aussi intérêt à y porter attention que les amateurs et concepteurs de jeux vidéo contemporains.
Au premier visionnement, le film m'a plongé dans cet espèce de délire qui s'empare de nous quand on découvre quelque chose de fascinant, mais qui dépasse un peu notre entendement ; exactement comme il se doit, je présume. On a beau vanter ses qualités artistiques plus subtiles, Christopher Nolan a toujours voulu divertir avant tout, et Inception remplit cette fonction à merveille: c'est une machine qui tourne, qui étourdit, qui distribue de l'information à un rythme parfaitement captivant. Mais malgré mon plaisir, je restais sur mes gardes. Ne s'est-on pas fait dire que l'émotion est l'ennemie de la raison? Toutes ces manigances ne seraient-elles pas qu'une manière bien élaborée de déguiser la plus grossière insignifiance? Heureusement, Nolan semble avoir assez bien réfléchi à son affaire pour passer le test du second regard.
Inception est la métaphore d'un projet quelconque, d'un processus mental en cours de réalisation. Il prend des virages continuels et emploie des méthodes obscures, mais ne présente rien qui ne soit pas en lien direct avec la démarche enclenchée. De la même manière, ses personnages n'ont peut-être jamais connu le héros personnellement, et tout ce qui se produit dans le film ne se déroule peut-être sur aucun plan de réalité concrète (c'est du moins ce que suggère la conclusion). En somme, peu importe si Cobb et ses collaborateurs ont bel et bien traversé trois couches de rêve, s'il a vraiment erré dans les limbes avec sa femme pendant cinquante ans, et si la toupie cesse de tourner au dernier plan ; ce qui compte, ce sont les émotions éprouvées sur le chemin, la sensation brute de la traversée des épreuves.
Là où le film transcende le succès et bascule dans le génie, c'est dans sa manière de récompenser la "maîtrise" des concepts de son univers. Plus qu'une simple chaîne d'événements, son intrigue repose sur un système de règles tellement complexe que la moitié du film est passée à les expliquer (pour une critique plus ample de l'aspect "didactique" d'Inception, je recommande ce billet de Kirk Hamilton). Mais plus qu'un simple casse-tête, cet élément de mystère est indispensable au parcours dramatique du film. Il ne s'agit pas de connaître la "twist" afin d'éclairer l'ensemble "sous une tout autre lumière", mais d'apprivoiser progressivement son fonctionnement, au point de s'immerger complètement dans l'état d'esprit des personnages et de partager leur investissement dans la bonne réussite de l'entreprise. Au fond, la seule véritable manière de tirer le moindre sens de l'intrigue d'Inception est de... jouer le jeu, s'abandonner à sa logique interne.
Tous les films comportent une certaine phase d'accoutumance et d'apprentissage, mais considérons un instant les mots que j'emploie pour décrire Inception. Maîtriser les concepts? Apprivoiser le fonctionnement? On pourrait parler du dernier Street Fighter, d'un "shooter" en ligne ou du nouveau StarCraft avec le même vocabulaire. À l'inverse, de combien de jeux peut-on dire qu'ils nous immergent complètement dans l'état d'esprit de leurs personnages, ou métaphorisent la réalisation d'un processus interne? Certains le font... Mais le font-ils aussi bien qu'Inception? Et si non, pourquoi?
Je suis conscient qu'il s'agit d'un gros paquet de questions, auxquelles je n'ai pas la réponse, et qu'il n'est peut-être même pas souhaitable de poser. Après tout, c'est le désir de faire faire aux jeux vidéo ce que les films font déjà si bien qui nous a menés à tous les problèmes du "blockbuster interactif", dont nous ne semblons pas près de nous déprendre. N'empêche, ce sont ces questions qui me font suivre le développement électronique année après année, et m'accrocher aux moindres réussites et excentricités. Des exemples?
Je pourrais bien sûr pointer vers Braid, ce jeu de plate-formes portant sur le sort d'un obsessif confronté à la réalité d'une perte irréversible (un thème que Christopher Nolan semble affectionner particulièrement). Je pourrais pointer vers Sleep is Death, l'outil de création et de partage narratif conçu par Jason Rohrer, dont les définitions de "niveaux" et de "maître de jeu" se rapprochent dangereusement de celles proposées par Inception. Je pourrais indiquer The Path et son rendu de l'errance adolescente, The Void et son angoissante gestion de ressources, Far Cry 2 et l'incroyable matérialité de son expérience... Et pourtant, à chacun on trouverait des failles fatales, qui enrayent la parfaite réalisation de leurs meilleures aspirations. Des failles d'exécution technique, d'immaturité littéraire, de difficulté d'utilisation, de design d'énigmes, d'obligations commerciales, de redondance... De chacun je voudrais croire qu'ils constituent des petits pas vers un avenir artistique meilleur, alors qu'il serait tellement plus facile de baisser les bras et de se résigner aux triomphes du cinéma.
Qu'est-ce qui sépare finalement les trompe-l'oeil et les pirouettes gravitationnelles d'Inception de celles de Portal ou de Mario Galaxy? Principalement, une fin dramatique dont l'intérêt dépasse la seule application de principes physiques tordus. Ses fusillades et ses poursuites à motoneiges de celles de Modern Warfare 2? Entre autres choses, un motif plus intéressant ("regagner le foyer familial" plutôt que "sauver l'Amérique"), et une justification plus mature à ses invraisemblances ("ceci est un rêve" au lieu de "ceci est une violente fantaisie militaire"). C'est la richesse de l'encadrement thématique, la qualité de la composition (écriture, musique, photographie, interprétation...), et l'ingéniosité toute simple des variations sur les règles établies, qui élève au niveau de l'art une base conceptuelle qu'on imaginerait bien propulsant un bon jeu d'action contemporain.
Loin d'être le premier film à s'aventurer sur le terrain des rêves, de la mémoire et du subconscient (et loin d'être le meilleur à le faire d'ailleurs), Inception nous rappelle non seulement ce dont le cinéma est capable en termes d'efficacité narrative et de puissance dramatique, mais s'accapare dans une large mesure les notions de "tutoriel", de malléabilité spatio-temporelle, ainsi que l'idée d'une d'existence virtuelle à travers laquelle seraient vécues des expériences marquantes et rédemptives, d'une réalité perçue absolument indiscutable. Et s'il n'y a rien de mal à se plonger dans l'occasionnel divertissement enfantin, il serait grand temps que le jeu vidéo réquisitionne et déploie à pleine capacité ces traits formels qui lui sont encore mieux appropriés, dans l'espoir que les sorties légitimement "artistiques" finissent par se dénombrer à plus de deux ou trois par année.
Au premier visionnement, le film m'a plongé dans cet espèce de délire qui s'empare de nous quand on découvre quelque chose de fascinant, mais qui dépasse un peu notre entendement ; exactement comme il se doit, je présume. On a beau vanter ses qualités artistiques plus subtiles, Christopher Nolan a toujours voulu divertir avant tout, et Inception remplit cette fonction à merveille: c'est une machine qui tourne, qui étourdit, qui distribue de l'information à un rythme parfaitement captivant. Mais malgré mon plaisir, je restais sur mes gardes. Ne s'est-on pas fait dire que l'émotion est l'ennemie de la raison? Toutes ces manigances ne seraient-elles pas qu'une manière bien élaborée de déguiser la plus grossière insignifiance? Heureusement, Nolan semble avoir assez bien réfléchi à son affaire pour passer le test du second regard.
Le réalisateur Christopher Nolan
Inception est la métaphore d'un projet quelconque, d'un processus mental en cours de réalisation. Il prend des virages continuels et emploie des méthodes obscures, mais ne présente rien qui ne soit pas en lien direct avec la démarche enclenchée. De la même manière, ses personnages n'ont peut-être jamais connu le héros personnellement, et tout ce qui se produit dans le film ne se déroule peut-être sur aucun plan de réalité concrète (c'est du moins ce que suggère la conclusion). En somme, peu importe si Cobb et ses collaborateurs ont bel et bien traversé trois couches de rêve, s'il a vraiment erré dans les limbes avec sa femme pendant cinquante ans, et si la toupie cesse de tourner au dernier plan ; ce qui compte, ce sont les émotions éprouvées sur le chemin, la sensation brute de la traversée des épreuves.
Là où le film transcende le succès et bascule dans le génie, c'est dans sa manière de récompenser la "maîtrise" des concepts de son univers. Plus qu'une simple chaîne d'événements, son intrigue repose sur un système de règles tellement complexe que la moitié du film est passée à les expliquer (pour une critique plus ample de l'aspect "didactique" d'Inception, je recommande ce billet de Kirk Hamilton). Mais plus qu'un simple casse-tête, cet élément de mystère est indispensable au parcours dramatique du film. Il ne s'agit pas de connaître la "twist" afin d'éclairer l'ensemble "sous une tout autre lumière", mais d'apprivoiser progressivement son fonctionnement, au point de s'immerger complètement dans l'état d'esprit des personnages et de partager leur investissement dans la bonne réussite de l'entreprise. Au fond, la seule véritable manière de tirer le moindre sens de l'intrigue d'Inception est de... jouer le jeu, s'abandonner à sa logique interne.
Tous les films comportent une certaine phase d'accoutumance et d'apprentissage, mais considérons un instant les mots que j'emploie pour décrire Inception. Maîtriser les concepts? Apprivoiser le fonctionnement? On pourrait parler du dernier Street Fighter, d'un "shooter" en ligne ou du nouveau StarCraft avec le même vocabulaire. À l'inverse, de combien de jeux peut-on dire qu'ils nous immergent complètement dans l'état d'esprit de leurs personnages, ou métaphorisent la réalisation d'un processus interne? Certains le font... Mais le font-ils aussi bien qu'Inception? Et si non, pourquoi?
Je suis conscient qu'il s'agit d'un gros paquet de questions, auxquelles je n'ai pas la réponse, et qu'il n'est peut-être même pas souhaitable de poser. Après tout, c'est le désir de faire faire aux jeux vidéo ce que les films font déjà si bien qui nous a menés à tous les problèmes du "blockbuster interactif", dont nous ne semblons pas près de nous déprendre. N'empêche, ce sont ces questions qui me font suivre le développement électronique année après année, et m'accrocher aux moindres réussites et excentricités. Des exemples?
Je pourrais bien sûr pointer vers Braid, ce jeu de plate-formes portant sur le sort d'un obsessif confronté à la réalité d'une perte irréversible (un thème que Christopher Nolan semble affectionner particulièrement). Je pourrais pointer vers Sleep is Death, l'outil de création et de partage narratif conçu par Jason Rohrer, dont les définitions de "niveaux" et de "maître de jeu" se rapprochent dangereusement de celles proposées par Inception. Je pourrais indiquer The Path et son rendu de l'errance adolescente, The Void et son angoissante gestion de ressources, Far Cry 2 et l'incroyable matérialité de son expérience... Et pourtant, à chacun on trouverait des failles fatales, qui enrayent la parfaite réalisation de leurs meilleures aspirations. Des failles d'exécution technique, d'immaturité littéraire, de difficulté d'utilisation, de design d'énigmes, d'obligations commerciales, de redondance... De chacun je voudrais croire qu'ils constituent des petits pas vers un avenir artistique meilleur, alors qu'il serait tellement plus facile de baisser les bras et de se résigner aux triomphes du cinéma.
Qu'est-ce qui sépare finalement les trompe-l'oeil et les pirouettes gravitationnelles d'Inception de celles de Portal ou de Mario Galaxy? Principalement, une fin dramatique dont l'intérêt dépasse la seule application de principes physiques tordus. Ses fusillades et ses poursuites à motoneiges de celles de Modern Warfare 2? Entre autres choses, un motif plus intéressant ("regagner le foyer familial" plutôt que "sauver l'Amérique"), et une justification plus mature à ses invraisemblances ("ceci est un rêve" au lieu de "ceci est une violente fantaisie militaire"). C'est la richesse de l'encadrement thématique, la qualité de la composition (écriture, musique, photographie, interprétation...), et l'ingéniosité toute simple des variations sur les règles établies, qui élève au niveau de l'art une base conceptuelle qu'on imaginerait bien propulsant un bon jeu d'action contemporain.
Loin d'être le premier film à s'aventurer sur le terrain des rêves, de la mémoire et du subconscient (et loin d'être le meilleur à le faire d'ailleurs), Inception nous rappelle non seulement ce dont le cinéma est capable en termes d'efficacité narrative et de puissance dramatique, mais s'accapare dans une large mesure les notions de "tutoriel", de malléabilité spatio-temporelle, ainsi que l'idée d'une d'existence virtuelle à travers laquelle seraient vécues des expériences marquantes et rédemptives, d'une réalité perçue absolument indiscutable. Et s'il n'y a rien de mal à se plonger dans l'occasionnel divertissement enfantin, il serait grand temps que le jeu vidéo réquisitionne et déploie à pleine capacité ces traits formels qui lui sont encore mieux appropriés, dans l'espoir que les sorties légitimement "artistiques" finissent par se dénombrer à plus de deux ou trois par année.
C'est probablement le seul film du monde entier qui réussit à s'en tirer avec une finale du genre «tout ceci n'était qu'un rêve». Avouez-que finir un roman, un film ou, encore pire, une nouvelle avec une finale du genre «tout ceci n'était qu'un rêve», c'est juste trop de la merde. Comment ça se fait qu'Inception a réussi à faire ça???
RépondreEffacerAussi, suis-je le seul à penser qu'ils pourraient faire une télé-série entière avec un concept aussi hot que ça? Sérieux, reprendre le concept et l'appliquer à d'autres trucs, ça serait hot. Peut-être pas aussi profond et intense et brillant que le film, mais ça serait certainement faisable et de façon intéressante.
C'est sur que oui il pourrait faire une télé serie sans probleme avec ce concept la.
RépondreEffacerMais moi et ma FEMME, on se demande comment qu'ils ont fait pour tourner la scene ou ya un effet d'apesenteur. J'ai de la misere a croire que cest fait par ordinateur... jespere quils ont pas fait ca dans un avion qui fait de la chute libre...
C'est une bonne question. Je dirais que c'est probablement fait avec un écran vert. Par contre, je n'ai pas trop réfléchit à la question. J'étais tellement embarqué dans le film, sur le bout de ma chaise, que je n'avais pas le temps de penser au comment des effets spéciaux!
RépondreEffacer(Je me souviens avoir dit à ma mère, vers le 3/4 du film: «C'est clair que je dormirai pas ce soir, trop stressant! :D »
Juste par curiosité, en français, ils parlaient de «coup de fouet» pour se réveiller. En anglais c'était quoi?
En anglais c'est "kick".
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